Hommage de David Gakunzi à Jimi Hendrix – L’étoile Vaudou.
Face au vent ou porté par la tempête, nous avançons tous sur le chemin de l’existence, cherchant chacun l’essentiel : le bonheur; oui, le bonheur, n’est-ce pas ? Mais où se trouve niché ce précieux trésor ? Où ? Dans le nombre des années ? Ou alors dans l’intensité de l’instant ?
Et Jimi Hendrix qui tourne, tourne dans sa chambre, la tête assaillie, submergée par un tourbillon de couleurs ; Hendrix qui plane, refaisant, d’un bout à l’autre, le chemin de sa vie. Rêve ou mirage ? Revoici Seattle ; oui, revoilà Seattle ; Seattle, et les tendres années à compter chaque heure, les étoiles dans les yeux de l’absence d’une mère perdue dans les affres de la picole et les rêves de Dady Al : » Joue, fils ; vas-y joue ! Joue, joue comme personne n’a jamais joué ! Et ne confond jamais talent et art. L’art se travaille. De l’obstination, fils, de l’obstination ! Joue, joue, fils et n’oublie pas, n’oublie jamais tout est possible à qui sait rêver ! »
Rêver ! Oui, Rêver, lever la tête et regarder les étoiles, embrasser le firmament, fouler le ciel d’autres terres : le pied à l’étrier chez Sam Cooke, la verticale absolue chez Little Richard et ensuite cap sur New York ! Oui, New York City. New York, black, brown et beige, dance-floor, swing et lumières déployées entre deux tours tournées vers des hauteurs lointaines ; New York et Greenwich village, cité Bohème, et les premières sessions au Café Wha ? Et la rumeur qui enfle: Il se passe quelque chose au Café Wha ?! Il y a en ce moment, au Café Wha, un guitariste venu d’une autre planète.
Hendrix qui plane, refaisant, d’un bout à l’autre, le chemin de sa vie. Rêve ou mirage ?
Et Hendrix qui tourne, plane comme un disque dilaté libéré de la lourdeur des choses terrestres et submergé par des voix dessinant des jours de gloire sur le visage d’une cité lointaine. Londres. Londres, cités bloc en cristaux, cités fluorescences Babels aux arbres rouillés, et Big Ben qui bat, qui bat! Ladys and gentlemen, from Seattle, Washington… Hendrix, désormais trace lumineuse. « Mesdames et Messieurs, nous avons l’immense honneur de recevoir aujourd’hui dans nos studios, un immense artiste. Merci Jimi Hendrix d’avoir accepté notre invitation. Il y a quelques années vous étiez encore un inconnu et vous voilà aujourd’hui star adulée ! Quel effet cela vous fait-il d’être ainsi applaudi et salué par tous les critiques ? »
Les compliments ? Les éloges ? Cela ne m’intéresse vraiment pas. J’ai toujours refusé la tyrannie des miroirs ; les miroirs sont parfois déformants, vous savez! Moi, je suis un peu comme les hougans : je marche le dos tourné aux miroirs. « Êtes-vous conscient quand même que vous êtes le guitariste le plus doué de votre génération ? » Plus doué que qui ? La rivalité ne m’intéresse pas ! Je ne cherche ni à égaler, ni à dépasser qui que ce soit. Je joue pour le plaisir ! « Comment vous définiriez-vous ? » Je suis un explorateur des signes, un explorateur de l’espace. « Et quel est votre prochain objectif ? La lune ? » Aller sur la lune ? La lune ne m’a jamais branché. Je préférerais marcher sur Saturne ou Venus, ou un truc de ce genre, un endroit avec des paysages !
Jimi Hendrix désormais énergie convulsive ondulant sur la voûte céleste et éclairant l’infini
Jimi Hendrix désormais énergie convulsive ondulant sur la voûte céleste et éclairant l’infini. Finies les galères et bonjour les longues limousines aux vitres fumées et les baisers et les amours ! Les amours d’un quart d’heure ; les amours de quelques saisons ; les amours chuchotantes ; les amours gémissants, les hanches houleuses, le plaisir haletant jusqu’au bout de la nuit.
Et retour aux sources des premières existences. « Vous êtes toujours à l’écoute de AB, votre radio musicale number one. Comme annoncé lors de notre dernier flash, nous vous confirmons le retour de Jimi Hendrix aux States. Son avion devrait atterrir dans quelques instants ! Tous les concerts de Hendrix affichent déjà complet. »
L’Amérique et JFK et King assassinés, et Brooklyn, Watt, Chicago, Detroit, et les ghettos qui s’enflamment, et Woodstock. Oui, Woodstock, et les pattes d’éléphants, les jupes gitanes, les crinières afros, les cheveux flottants; Woodstock et l’audace ludique, extravagante, retentissante jusqu’au fond du vertige. Woodstock et Jimi Hendrix, le solo ravageur hurlant comme une pluie de rouille saignant les rizières jusqu’à la lune par-dessus le Mékong.
Quatre années, quatre albums qui s’arrachent comme des petits pains ! Hendrix désormais astre valsant dans l’espace infini face à la pendule des saisons, Hendrix méga star ! Les tourbillons de la célébrité et pourtant… Pourtant la solitude ! Jimi Hendrix, seul. Hendrix seul.
Et Jimi Hendrix, les yeux hagards, qui tend le bras. Et les mains de Hendrix qui tremblent. Dormir ne plus penser à rien
Londres de nouveau. Londres, septembre 1970. « Après quelques mois passés aux Etats-Unis, Jimi Hendrix est de retour à Londres pour une série de concerts. Voici l’interview qu’il a bien voulu nous accorder aujourd’hui. Beaucoup de choses ont été dites sur vous, Jimi. On dit que vous êtes un tombeur, un sex-symbol, que vous êtes l’incarnation de l’amour, de la volupté, du désir, de la passion? Quelle est la vérité ? La vraie vérité dans tout ça ? La vérité est que nous sommes tous nés un jour, et que le temps d’un clic, nous ne serons plus là le jour venu. Nous aurons été et nous ne serons plus. Ce jour-là, il faudra alors avoir vécu. N’ayez pas peur de l’amour. Croyez-moi, l’immortalité est dans l’amour. Je crois en l’amour; l’amour est ma seule religion. Bonne nuit vaste univers, bonne nuit. »
Londres, 18 septembre 1970. Chambre 507, hôtel Samarkand. Hendrix épuisé : ombres de l’insomnie ! Mais au-delà des nuages, Hendrix voit des couleurs, les couleurs de l’extase, les couleurs de la valse des étoiles. Sa vie vient de ces astres-là, il a vécu fort de leur énergie. Un jour, se dit-il, une autre étoile apparaîtra dans l’univers. Un jour. Mais ce jour-là qui se souviendra encore de moi ? Qui se souviendra de Supro, la blanche, de Danelectro, la rouge, de Ky, d’Epiphone, de Stratocaster la blanche, de Stratacoster la noire, de Goya, l’italienne, de Gretsch la rouge cerise, de Flying ? Qui se souviendra d’elles ? Les courbes carrées, cintrées ou rondes, le corps lisse ou en écaille de tortue, les cordes tendues et retendues, le cri moelleux, limpide, grave ou aigu, elles ont partagé ma respiration, partagé mes émois, partagé mes remords. Qui se souviendra d’elles ? Qui se souviendra de moi ? Qui se souviendra de mes guitares ?
Le sommeil. Le vide, le néant. A vingt-sept ans
Et Jimi Hendrix, les yeux hagards, qui tend le bras. Et les mains de Hendrix qui tremblent. Dormir ne plus penser à rien. Le salut. Le sommeil. Neuf. Neuf est un chiffre parfois béni, parfois maudit. Neuf, neuf cachets. Le salut, le sommeil ?
« Hullo ? Hullo ? Y’a-t-il quelqu’un ici ? C’est le service des urgences. C’est bien la chambre 507, non ? Tu as vu toutes ces guitares ? C’est sans doute un musicien. Hullo ? C’est le service des urgences. » Le sommeil. Le vide, le néant. A vingt-sept ans. Comme une étoile filante. Comme une de ces étoiles filantes qui brillent d’un coup, d’un seul coup, d’un éclat majestueux d’une beauté indicible et qui soudain, s’en vont vers d’autres horizons.