Paul Gauguin (1848-1903) est l’un des artistes français majeurs du XIXe siècle et l’un des plus importants précurseurs de l’art moderne. L’exposition du Grand Palais retrace son étonnante carrière, dans laquelle il a exploré les arts les plus divers : peinture, dessin, gravure, sculpture et céramique. Les chefs-d’œuvre réunis mettent en avant le travail de l’artiste sur la matière ainsi que son processus de création : Gauguin bâtit son art sur la répétition de thématiques et de motifs récurrents. Entretien avec Claire Bernardi et Ophélie Ferlier-Bouat, commissaires de l’exposition.
Deux expositions majeures ont été consacrées à Paris à Paul Gauguin par le passé : une monographie en 1989 et une autre sur les années passées en Polynésie, en 2003. Quel sera le propos de l’exposition de 2017 ?
Après l’exposition fondatrice présentée déjà au Grand Palais en 1889, puis la belle exposition de 2003 qui se concentrait sur la production tahitienne de l’artiste, nous espérons présenter au public l’œuvre de Gauguin sous un jour nouveau, en soulignant l’importance de l’expérimentation dans son processus créatif. A la lumière des recherches récentes sur les techniques et matériaux utilisés par Gauguin, nous avons pour ambition de révéler les méthodes de travail et les expérimentations de l’artiste dans les domaines les plus divers : peinture, mais également dessin, gravure, sculpture, céramique, montrant ainsi la remarquable complémentarité de ses créations. Nous mettrons ainsi l’accent sur la modernité du processus créateur de Gauguin, sa capacité à repousser sans cesse les limites de chaque médium. L’exposition, à partir d’une trame chronologique, regroupera les œuvres autour de thèmes repris par l’artiste parfois jusqu’à l’obsession, proposant ainsi au regard de circuler d’une œuvre à l’autre, de la peinture à la sculpture, ou encore du dessin à l’œuvre gravée, à l’image du geste créateur de l’artiste. Le parcours sera par ailleurs ponctué de salles de projection qui proposeront une immersion dans les techniques et les méthodes de travail de l’artiste.
Pourquoi avez-vous intitulé cette exposition Gauguin l’alchimiste ?
Si le terme d’alchimiste n’a jamais été employé pour qualifier Gauguin, il permet de résumer plusieurs de ses particularités : l’idée d’une quête incessante sans véritable point d’achèvement, et sa capacité exceptionnelle à transfigurer les matériaux, à voir en eux des qualités indécelables par le commun des mortels. Il écrit en 1889 : «Avec un peu de boue on peut faire du métal, des pierres précieuses, avec un peu de boue et aussi un peu de génie! N’est-ce point donc là une matière intéressante ?».
La référence à l’alchimie dans le titre fait également allusion à l’intérêt que portait Gauguin au symbolisme, au mysticisme et à l’occultisme de la fin du XIXe siècle, intérêt qui a guidé son choix de titres énigmatiques, mais aussi la manière étonnante dont il manipule les matériaux.
Gauguin l’alchimiste met ainsi de côté la biographie de l’artiste, pour souligner son approche très libre des techniques et des matériaux, un moteur fondamental de son aventure artistique.
Pourquoi Gauguin part-il toujours plus loin, d’abord en Bretagne, puis à Tahiti et finalement aux Marquises ? Que cherche t-il ? Peut-on comparer sa démarche à celle d’un ethnologue ?
Il n’y a pas de frontière entre le monde personnel et l’univers esthétique de Gauguin : quand il évoque son art, il parle de lui-même ; et ses choix personnels sont toujours guidés par des choix esthétiques. Ainsi, sa volonté d’aller toujours plus loin, de découvrir de nouveaux territoires, correspond à un besoin constant de perfectionner sa pratique artistique.
Ses origines péruviennes constituent le vecteur de cette quête d’inconnu et d’ailleurs : Gauguin cherche sans cesse à mettre au jour le versant «sauvage» de sa personnalité, dont il trouve des échos d’abord en Bretagne, puis en Polynésie. Il retient de ces différents lieux et en absorbe uniquement ce qui trouve en lui une résonance intérieure.
Photo : Paul Gauguin – Fatata te Miti (By the Sea)