Théodore Monod, scientifique naturaliste, explorateur, humaniste est considéré comme l’un des plus grands spécialistes du Sahara au XXe siècle. Il s’est éteint le 22 novembre 2000, à 98 ans, laissant derrière lui une oeuvre remarquable. Dans ce texte, Monod découvre l’hostilité du désert et la leçon d’humilité qu’il nous impose. Extrait.
Un changement de rythme d’abord : après celui de la vie « civilisée » – ou prétendue telle -, artificiel, décalé, celui que le soleil impose à tout le monde vivant, avec la régulière alternance de la lumière et des ténèbres.
A ce rythme nous obéirons à nous-mêmes, nous endormant la nuit, nous levant avec l’aurore.
Présence retrouvée aussi de l’écorce terrestre, au ras de laquelle nous allons vivre ; marchant, assis, couchés, nous conservons avec le sol un contact direct, sans intermédiaire : il faut avoir pataugé dans le sable, à longueur de journée, s’être déchiré les doigts de pied dans la caillasse, avoir dormi à même le roc, pour comprendre ce que cela signifie. Aussi le point de vue du piéton n’est-il pas celui de l’aviateur, qui voit les choses de plus haut, et, celles de la terre, plus mal.
Leçon d’humilité, cette existence de cloporte collé au sol, cette fraternelle cohabitation avec les bêtes dans les rangs desquelles nous reprenons place, pour découvrir, dans notre combat contre l’hostilité d’une nature terriblement inhumaine, que nous sommes de simples spectateurs d’une pièce qui ne nous est nullement destinée. Une fameuse douche sur notre orgueil naïf de « Roi de la Création »…
Sur le sol, oui, mais sous le ciel : à la ville, entre nos parquets et nos toits, on n’a ni l’un ni l’autre ; ici, on a l’un et l’autre, le second par la splendeur de ses consolations, vous vengeant parfois du premier qui manque, à tous les sens du mot, de tendresse.
Le ciel consolant du sol ? Seulement ? C’est peu dire s’il faut y voir la constatation résignée d’une irréductible hostilité. Les beautés du ciel venant éclairer, adoucir les rigueurs d’un sol qu’il s’agit non d’oublier mais d’accepter et de vaincre, le sol transfiguré par le ciel ? A la bonne heure ! Cette fois nous sommes d’accord. Et le programme, d’ailleurs, ne s’appliquera plus au seul Sahara…
Photo : Théodore Monod dans le massif du Tibesti. © Sylvain Estibal – AFP
THEODORE MONOD
Extrait de « Méharées : dans le désert, vivre c’est avancer sans cesse » / Editions « J’ai Lu »