Marceline Loridan-Ivens, cinéaste, productrice, écrivaine survivante des camps de la mort, est décédée à 90 ans mardi 18 septembre à Paris. Déportée avec son père à l’âge de 15 ans, à Auschwitz-Birkenau, Marceline Loridan-Ivens aura traversé toutes les épreuves de la vie, l’humanisme rayonnant d’intelligence vive.
Marceline Rosenberg naît de parents juifs polonais, émigrés en France en 1919. Au début de la Seconde Guerre mondiale, sa famille s’installe dans le Vaucluse. C’est au cours de cette période que Marceline Rosenberg rejoint la Résistance. Elle est arrêtée le 29 février 1944 avec son père au domicile familial lors d’une rafle de la Gestapo d’Avignon. Ils seront transférés à Drancy puis déportés à Auschwitz le 13 avril 1944. Son père lui dira : « Toi tu reviendras parce que tu es jeune. Moi, je ne reviendrai pas. » Elle rencontrera « sa jumelle contradictoire », Simone Veil. « Nous étions dans le même convoi en route pour Birkenau. J’avais 15 ans, elle en avait 16. On s’est retrouvées dans le même bloc. Le matricule gravé sur mon avant-bras est 78750, le sien était 78651″ confiera-t-elle à l’AFP en juin 2017.
Lorsque les habitants ont ouvert les wagons, c’était l’horreur. Notre convoi était leur premier retour de déportés
Transférée en novembre au camp de concentration de Bergen-Belsen, elle est ensuite déplacée et affectée dans une usine de fabrication de moteurs pour avions de chasse du camp annexe de Raguhn, puis de nouveau transférée en avril 1945 à Theresienstadt, elle est libérée le 10 mai 1945. Marceline Loridan-Ivens : « De Birkenau, nous avons été déplacées à Bergen Belsen. Puis, début avril 1945, dans une usine de fabrication de moteurs d’avions pour les avions de chasse Juncker, à trente kilomètres de Leipzig. Comme les Américains étaient à 18 kilomètres, j’ai eu l’idée de me cacher dans un cercueil avec la petite Renée. Nous y sommes restées près de trois heures. Mais les SS ont compté les détenues à la gare de Leipzig. Nous manquions. Ils sont revenus pour nous chercher. Pour nous punir, après nous avoir battues, ils nous ont collé dans le wagon des personnes qui avaient le typhus. Renée l’a attrapée, et en est morte. Nous avons continué jusqu’au ghetto de Teresienstadt. Lorsque les habitants ont ouvert les wagons, c’était l’horreur. Notre convoi était leur premier retour de déportés. Des cadavres sont tombés du train. Je me suis évadée du ghetto de Teresienstadt avec 23 autres françaises, avant qu’il soit mis en quarantaine avec l’épidémie de typhus. Nous sommes arrivés finalement à Prague, à pieds. »
Rapatriée en France, sa famille presque complètement anéantie durant la Shoah, elle essaie de redonner un sens à sa vie. Elle ne sera pas épargnée par le malheur : un de ses frères ainsi que sa sœur se suicideront. En 1952, elle épouse Francis Loridan dont elle gardera le nom car, dira-t-elle, dans cette France des années 50 où l’antisémitisme était fort encore, il était difficile de reprendre le nom de Rozenberg.
Vivre comme quelqu’un qui n’a rien à perdre
A Saint-Germain des Prés, Marceline Loridan s’épanouit et grandit dans « ce monde de la pensée, de la modernité et de la poésie ». Elle fréquente la Cinémathèque, tape des manuscrits pour Roland Barthes. Une de ses connaissances, l’entraîne sur le tournage d’un film tourné en 1961 avec Jean Rouch et Edgard Morin, Chronique d’un été. Elle livrera à la caméra un des premiers témoignages filmés sur la déportation.
C’est par ce film qu’elle entre dans le monde du cinéma. Elle tournera l’année suivante son premier documentaire, Algérie année zéro, avec son compagnon Jean-Pierre Sergent. Elle rencontre ensuite celui qui sera son second mari, Joris Ivens, cinéaste néerlandais, avec qui elle partira au Vietnam en pleine guerre. Ils tourneront 17ème parallèle en 1967. De 1972 à 1976, pendant la révolution culturelle déclenchée par le président Mao Zedong, ils travailleront en Chine et réaliseront Comment Yukong déplaça les montagnes composé d’une série de 12 films. Critiqués par Jiang Qing, la femme de Mao, ils quitteront précipitamment la Chine.
En 2003, elle réalise un film sur le retour d’une ancienne déportée à Auschwitz Birkenau, La Petite Prairie aux bouleaux, avec Anouk Aimée.
Marceline Loridan-Ivens a voulu « vivre comme quelqu’un qui n’a rien à perdre ». Avec la volonté de toujours témoigner, de parler des exclus et dénoncer inlassablement l’arbitraire et la brutalité de notre monde.
Photo ©Thomas Padilla/MAXPPP