Devenues un symbole du harcèlement moral au travail, les vagues de suicide à France Télécom ont choqué l’opinion au cours des années 2000. En cause, une politique d’entreprise qualifiée par certains de «management par la terreur». Sujet encore tabou, le harcèlement moral est une souffrance muette qui porte atteinte à la santé et la dignité de la personne.
Dans les pays germaniques et scandinaves, ce phénomène est appelé mobbing. Heinz Leymann, chercheur en psychologie, s’est intéressé le premier à ce fléau en 1993. Il le définira comme étant « l’enchaînement, sur une assez longue période, de propos et d’agissements hostiles, exprimés ou manifestés par une ou plusieurs personnes envers une tierce personne ».
En France, depuis 2001, le harcèlement moral au travail est reconnu comme un délit qui peut faire l’objet d’une action devant les Prud’hommes ou le tribunal pénal. Cette loi fut le fruit du retentissement du livre choc de la psychiatre Marie-France Hirigoyen sorti en 1998. « Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien » décrivait pour la première fois les violences insidieuses subies sur le lieu de travail. Hirigoyen définit le harcèlement moral comme « toute conduite abusive (gestes, paroles, comportement, attitude…) qui porte atteinte, par sa répétition ou sa systématisation, à la dignité ou à l’intégrité psychique ou physique d’une personne, mettant en péril l’emploi de celle-ci, ou dégradant le climat de travail ».
Le bourreau ne laisse pas de répit à sa victime assaillie au quotidien, déstabilisée et manipulée
La diffusion de ce concept dans la société est venue changer le regard sur le travail. Mais comment caractérise-t-on le harcèlement moral ? Quelles sont ses conséquences sur la santé ? Comment se défendre ?
Attaques personnelles, humiliations quotidiennes, ordres contradictoires, surcharge de travail, menaces physiques, gestes déplacés… Exemples récurrents que l’on retrouve dans les témoignages des victimes. Dans ses travaux, Leymann liste 45 agissements hostiles caractéristiques du harcèlement qu’il classifie en cinq catégories : empêcher la victime de s’exprimer ; l’isoler ; la déconsidérer ; la discréditer dans son travail ; compromettre sa santé physique. Ces attaques, ciblant une personne en particulier, sont inscrites dans un rapport de force inégal et marquent toujours une intentionnalité délibérément malveillante visant la personnalité même de la victime.
Le harceleur répond à une psychologie particulière et même s’il est parfois difficile de le démasquer, ces traits restent invariables. Le bourreau ne laisse pas de répit à sa victime assaillie au quotidien, déstabilisée et manipulée. Celle-ci est hantée par d’innombrables sentiments et questionnements allant de la culpabilité, à la honte, à l’incompréhension, à la peur, à la colère. Devenue une cible pour le harceleur, elle perd progressivement confiance et estime de soi et finit par se disqualifier elle-même. Objectifs ultimes du bourreau, qui lui, tisse pendant ce temps tranquillement sa toile autour de sa proie.
Le persécuteur se nourrit chez l’autre de ce qui lui fait défaut
Mais pourquoi devient-on la cible d’un harceleur ? Quelle que soit la situation, la victime n’est jamais responsable de ce qu’elle vit. Elle subit une profonde injustice et souffrance. Inverser les rôles, endosser des responsabilités qui ne lui appartiennent pas, reviendrait à dédouaner le coupable. Une double peine en somme. Le harceleur répond à une personnalité pathologique, obsessionnelle, possédée par un besoin maladif de contrôler et de dominer. Ses motivations sont multiples : complexe intellectuel et physique, peur, jalousie, besoin de s’affirmer… Tel un prédateur, le persécuteur se nourrit chez l’autre de ce qui lui fait défaut. Bien souvent paranoïaques, les harceleurs ciblent la faille narcissique chez l’autre pour s’attaquer à l’estime de soi et à la confiance en soi de la victime.
La fréquence et la durée de ces attaques laissent des séquelles sur la santé physique et morale. Les désordres psychiques peuvent être importants : troubles psychosomatiques, anxiété, dépression, suicide, stress post-traumatique. Ce dernier fait vivre un véritable chemin de croix : revivance des souffrances, sorte d’intrusion dans la vie quotidienne qui prend vie sous forme de flash-back, de cauchemars ; évitement qui conduit souvent à des arrêts de travail et parfois à la démission ; hyper stimulation avec des troubles de la mémoire de la concentration, du sommeil, agressivité… L’entourage proche est aussi touché, la sphère familiale pâtit de cette situation.
Le plus difficile pour les victimes, souvent inconscientes de la violence subie, est d’abord de briser l’isolement
Le harcèlement moral est un délit passible de deux ans de prison et de 30000 euros d’amendes. Le salarié est protégé à la fois par le Code du travail et le droit pénal. Le plus difficile pour les victimes, souvent inconscientes de la violence subie, est d’abord de briser l’isolement. Parler est la première voie de sortie. Il s’agit alors de s’adresser aux médecins, aux associations, aux délégués du personnel, aux syndicats, aux collègues et à l’entourage. De plus, il faut faire le deuil d’une relation « normale » avec le persécuteur et se préserver. Toxique, cette relation déséquilibrée ne peut se régler sans l’aide d’une tierce personne.
Si la médiation est impossible, la justice devient l’unique recours pour défendre ses droits. Lettres, mails, textos, témoins : conserver des preuves est indispensable pour prouver la culpabilité du harceleur. L’inspection du travail peut également intervenir et faire part de ses constatations à l’employeur. Dans les cas graves, une poursuite pénale peut être engagée et une instruction judiciaire sera ouverte.
Le harcèlement moral est un phénomène préjudiciable pour la santé des salariés et la bonne marche des entreprises. Toute entreprise devrait mettre en place une politique de tolérance zéro face à ce phénomène et repenser constamment ses techniques managériales pour assurer une sécurité morale et physique à tous ses salariés.
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Bonjour et bravo, votre article est très complet et a bien cerné la réalité. J’ai été victime de harcèlement moral au travail pendant de nombreuses années. Au commencement le harcèlement s’est appuyé sur une discrimination fondée sur mes opinions politiques supposées. Lorsque j’ai travaillé en Open Space le harcèlement est devenu managérial, ce type de gestion est une violence infligée à tous. J’ai été dédommagée mais j’ai quand même fini par négocier une rupture conventionnelle et partir. Car hélas c’est la seule solution radicale. Parce que la grande difficulté est de devoir travailler à nouveau après avoir dénoncé le harcèlement, car la plupart du temps l’agresseur est toujours là. Et j’ai même vu des cas où c’était lui qui procédait à ce qu’on appelle « l’entretien de réaccueil ». Au final il jouit de l’impunité totale. Ce qui est aussi très important de souligner c’est que la signatures des accords RPS par les organisations syndicales servent finalement d’alibi aux employeurs qui prétendent avoir tout mis en place pour écarter le risque.