Marcelina Bautista mène une longue lutte depuis plusieurs années pour le droit des travailleuses domestiques au Mexique. Elle est devenue la voix de plus de deux millions de femmes qui étaient jusque là invisibles.
Ces travailleuses domestiques, employées majoritairement dans des maisons privées, représentent environ 4% de la population active, la main d’oeuvre étant essentiellement féminine et autochtone. Plus d’un tiers de ces travailleuses perçoivent moins que le salaire minimum quotidien mexicain, soit environ 4,38 dollars. La grande majorité d’entre elles n’ont pas accès aux droits fondamentaux comme la sécurité sociale et des horaires réglementées, et sont souvent victimes de discriminations, de violences et d’agressions sexuelles.
Ces conditions de travail précaires et abusives ont poussé Bautista à fonder en 2000 le Centre pour l’aide et la formation des travailleuses domestiques. Ce centre offrait des programmes inédits de formation et d’enseignement à l’intention des travailleuses domestiques. Ces efforts de mobilisation ont permis il y a quatre ans la constitution d’un syndicat national des travailleurs/euses du Mexique.
Bautista a contribué à l’élaboration de la norme internationale pour les travailleuses et les travailleurs domestiques, la convention 189 de l’Organisation Internationale du Travail. Elle souhaite désormais que le Mexique ratifie cette convention pour que ce secteur soit enfin protégé de toute forme d’abus.
Quels ont été les facteurs les plus importants qui vous ont permis d’en être là ?
L’engagement et l’envie de se dépasser. J’ai vécu l’injustice lorsqu’à l’âge de 14 ans j’ai dû me contenter de mes études primaires dans un village sans avenir et que je suis arrivée à Mexico pour travailler comme employée de maison, une activité socialement dévalorisée. À 17 ans, j’avais déjà appris à parler l’espagnol, ma langue maternelle étant le zapotèque. Je ne voulais pas m’apitoyer sur mon sort, ni me considérer comme une victime. J’ai alors décidé de chercher des opportunités et je suis heureuse d’avoir pu trouver rapidement le soutien d’autres hommes et femmes qui ont joué un grand rôle dans ma lutte d’aujourd’hui.
Quels obstacles majeurs avez-vous dû surmonter pour arriver où vous en êtes aujourd’hui ?
J’ai dû affronter de nombreuses choses et, notamment, vaincre la peur et l’insécurité, car je me disais toujours : « Mais je ne suis rien ! ». Je pourrais le résumer ainsi : je me sentais ignorée, avec un travail dévalorisé au niveau professionnel et social. Entre quatre murs, on n’a rien d’autre à apprendre. On ne peut aller de l’avant que si la volonté et l’envie sont là, en ayant conscience du fait que l’on est un être humain avec de l’espoir, des rêves, et qu’il nous appartient de les réaliser. Peut-être que les mauvais traitements de certaines de mes patronnes m’ont rendue plus forte.
Quelle trace gardez-vous de votre enfance ?
Je suis la troisième d’une famille de 12 enfants. La première est décédée et la deuxième vivait avec ma grand-mère maternelle. Dès mon plus jeune âge, j’ai aidé ma mère à élever mes autres frères et sœurs. Ma mère a toujours été soumise. En plus d’être femme au foyer, elle travaillait dans les champs. J’ai grandi dans un village où le machisme était très présent. Si j’étais restée, j’aurais certainement été vendue à un inconnu, contre mon gré.
Cette violence à l’égard des femmes que je connaissais ou à l’égard de mes cousines – bien qu’il s’agissait d’us et de coutumes – ne me plaisait pas, car ma mère en était le reflet à mes yeux. Un jour j’ai dit à ma mère que j’y échapperais et, bien que ce choix ait eu des conséquences sur ma vie, j’ai pu décider de mon avenir grâce à ces expériences que j’avais vécues depuis que j’étais enfant.
À 9 ans, je voulais être institutrice et un oncle s’est moqué de moi. À 15 ans, je voulais être avocate mais je ne pouvais pas étudier, car je gardais des enfants. Peu à peu, j’avançais. Aujourd’hui je connais la loi, je la défends et je tire une grande satisfaction de ce que j’apporte à mes camarades travailleuses.
Selon vous, quelle est votre plus grande contribution à la société ?
« Rendre visible l’invisible » est le slogan de l’organisation que je préside. Je crois que cela a été ma contribution : permettre au travail privé de devenir public. Rendre visible ce que nous autres, travailleuses domestiques, faisons et rendre visible notre situation précaire pour que ce thème soit inscrit dans l’agenda public et, surtout, être le témoin du changement et comprendre que ce que tout un chacun a entre les mains peut parvenir à faire la différence.
Je pense que j’ai également contribué à l’élaboration de la norme internationale pour les travailleuses et les travailleurs domestiques, la convention 189.
Quel message partageriez-vous avec les autres femmes et enfants qui s’inspirent de votre travail ?
Beaucoup de force ! Comme moi, tu veux que les choses changent, où que nous soyons, nous devons unir nos énergies pour miser sur la paix, la non-violence, la dignité humaine et l’espérance. Merci d’être une autre porte-parole de cet espoir partagé par d’autres femmes du monde.
Photo : « Roma » un film d’Alfonso Cuarón racontant le quotidien d’une domestique au Mexique.