L’exposition « Helena Rubinstein, l’aventure de la beauté » retrace les étapes de cette pionnière de l’indépendance féminine, fondatrice d’un empire industriel cosmétique. A découvrir au musée d’art et d’histoire du judaïsme (mahJ) de Paris jusqu’au 25 août.
En Europe de l’Est, les juifs n’avaient pas la vie facile (…). Il fallait que je m’en sorte, que je fasse mon chemin moi-même. Ces mots sont ceux d’Helena Rubinstein, créatrice d’une culture et d’une industrie de la beauté, self-made women du début du 20ème siècle. Un itinéraire que la jeune fille de Cracovie s’est forgé grâce à son audace et sa persévérance.
De Chaja à Helena Rubinstein
Rien ne destinait Chaja à devenir Helena, première fortune féminine mondiale. Fille d’un modeste épicier, née le 25 décembre 1872 en Pologne, elle est l’aînée d’une famille de huit filles. Malgré elle, à 15 ans, elle quitte l’école pour seconder sa mère et aider son père. Son destin semblait ainsi tout tracé. Sauf qu’Helena, esprit libre et affranchi, se révolte et refuse plusieurs mariages arrangés.
Source d’inquiétude, « immariable », sa famille se cotise et l’envoie à l’âge de 24 ans chez ses oncles en Australie. Cet exil, elle en fera sa chance et ne le subira pas. Avant de partir, sa mère glisse dans ses valises 12 petits pots de crème pour protéger son visage des méfaits du soleil. Une attention qui scellera le destin et la légende d’Helena Rubinstein.
Coincée à Coleraine où désormais elle travaille, son teint diaphane fascine. Elle réalise alors le potentiel de sa pommade d’enfance. Son intuition ? Reproduire la formule et enseigner les règles de la beauté aux femmes. A Melbourne, à force de volonté et d’intelligence, elle reproduit la crème qu’elle baptise Valaze. Avec l’argent de ses ventes, son premier salon de beauté ouvre en 1902. Le succès est fulgurant. Suivront Sydney, Wellington et Auckland. Pour Helena « la beauté est un nouveau pouvoir », celui de l’affirmation et de l’émancipation des femmes.
« La beauté doit tout à la science », un marketing novateur
Cette immense réussite la pousse en 1905 à retourner en Europe. Pendant deux ans, ses voyages et ses rencontres la convaincront que science et innovation doivent être au cœur de sa démarche. Son précepte « la beauté doit tout à la science » devient son leitmotiv commercial. Elle classifie la peau en trois types et crée des crèmes pour chaque catégorie. Sa vision moderne se retrouve dans ses salons où massages, régimes alimentaires équilibrés, cours de gymnastique sont proposés.
Si Melbourne lui apporta la fortune, l’Europe lui offrira la célébrité. En 1907 à Londres, en 1912 à Paris, puis à New York et dans le monde entier, elle ouvre instituts et usines. Jugé tabou et vulgaire, elle démocratise le maquillage en le positionnant sur du haut de gamme. Cette pionnière de la beauté propose le premier rouge à lèvres en tube, des poudres colorées pour le teint, achète la licence du mascara waterproof…
Helena Rubinstein a ouvert la voie aux femmes de son temps
Ce marketing d’un genre nouveau s’exprime dans ses publicités. Dès 1903, des actrices valorisent ses produits. A l’avant-garde, elle se met en scène habillée par de grands couturiers, ou entourée de ses fioles dans son laboratoire. Innovant le storytelling, Rubinstein raconte l’histoire de sa marque, et donc de sa vie, en embellissant quelques détails de son étonnant parcours.
Une collectionneuse d’art et mécène
Les années 30 inaugurent son entrée dans les cercles artistiques parisiens. Pour « Madame », art et beauté s’inscrivent dans une même perspective. Elle s’entoure des plus grands artistes du vingtième siècle, Picasso, Van Dongen, Braque, Fernand Léger, Eluard, Brancusi, Matisse… La décoration de ses salons ressemble à des musées, comme à New York, où les marbres d’Elie Nedelman côtoient des lampes de Jean-Michel Frank, des dessins de Modigliani…
Femme hors des normes du siècle, elle collectionne très tôt les arts premiers et la peinture, pose pour ses amis artistes, comme Dali qui l’immortalisera en 1941 à New York. Sa passion dévorante la conduit à financer un pavillon au Musée d’art de Tel-Aviv.
En 1945, à la Libération, son appartement parisien est pillé et ses usines détruites. Malgré tout, à 76 ans, elle trouvera la force de reconstruire son empire européen. En 1965, année de son décès, sa marque est présente dans plus de trente pays, compte quatorze usines, et emploie 32 000 personnes.
Edmonde Charles-Roux, amie d’après-guerre, la décrira ainsi : « Cette petite femme faite d’un bloc, très polonaise et très juive, courageuse, tolérante, ouverte d’esprit, au regard singulier sur les êtres et les choses (…) ». Philanthrope, visionnaire, autodidacte, Helena Rubinstein a ouvert la voie aux femmes de son temps.
Photo : Helena Rubinstein, 1953 ; Paris, Archives Helena Rubinstein – L’Oréal ; cDoc Levin graphic design studio