Johnny Clegg, auteur-compositeur-interprète sud-africain, est mort le 16 juillet 2019. Texte de David Gakunzi en hommage à celui que l’on surnommait le Zoulou Blanc.
Le vent a soufflé. Te voilà ailleurs. Tu viens de finir ton temps. Et ceux qui prient et ceux qui ne prient pas ont tous fredonné, de l’intérieur de leurs mémoires, tes mélodies, flamboyance de verdeur, les paroles, poésie, appels à l’élévation. L’élévation pour la fraternité. Tu disais : « Je ne prends pas la haine. La haine est un poison. La haine empoisonne. La haine donne du poison. Je ne prends pas la haine. »
Clegg, comment as-tu fait ? Je vois et revois encore l’envolée de ton pied, vif comme le soleil, exercice de liberté, haut balancé vers là-haut. Zoulou. Zoulou jusqu’à la cime. Ton pied, pulsation du sol vers les hauteurs, transcendance au-dessus du ciel, et soudain, coup de tonnerre vigoureux de l’azur au bas du sol et, voilà la terre saisie de tremblements. Indlamu, amabeshu, serre-tête et grelots, danse, danse Clegg, danse pour les larmes, danse pour les cris, danse pour les Hostels, danse pour Soweto, danse pour les rêves, danse pour la joie, danse sur les ailes du rêve, danse ta vision du monde, danse la vie et fais de ton monde le meilleur des mondes, danse sur toutes les routes du monde, danse comme si c’était ta dernière danse, danse au-dessus du vide.
Mais comment as-tu fait, Clegg ? Comment as-tu fait pour échapper à ton destin de couleur réservée ?
Mais comment as-tu fait, Clegg ? Comment as-tu fait pour échapper à ton destin de couleur réservée ? D’où t’es venue cette force mystique, invincible ? Comment as-tu fait pour refuser les jardins de la ségrégation raciale et voler aussi royalement hors apartheid ? Comment as-tu fait pour refuser d’être un homme qui fonctionne et devenir un être qui pense ? Comment as-tu fait pour devenir celui que tu es devenu ?
L’apartheid séparait, et, à l’avant du combat contre les mise-à-part, mbaqanga, pop, rock, jive, mélange inattendu sortant des chemins interdits, baigné de lumières, la danse éclair des jeunes Lions, éclat de ta distinction, tu choisis, le souffle continu, de Juluka à Savuka, de rassembler. Ta musique fut d’étoile quand il faisait obscurité et ta voix, totem célébrant le jour au plus profond de la nuit. Et l’univers a dansé, dansé le rythme martelant le sol, dansé tourbillonnant à perdre haleine ton espoir : Mandela libre et que vive la liberté !
Asimbonanga, Asimbonanga…
Le voyage vers la liberté. La longue marche vers l’égalité. La route fut longue. Il n’y a nulle part de petit chemin vers l’émancipation.
Clegg, Johnny Clegg, éminence de la conscience, ngibiza igama lakho, I’ll call your name, j’appellerai ton nom. Je ne chuchoterai pas, je ne murmurerai pas ton patronyme ; j’appellerai ton nom pour qu’il soit étincelle, lueur, flamme. J’appellerai ton nom comme on allume une lumière pour conjurer les chemins de croix.
Clegg, comment as-tu fait ? De sa périphérie, Manchester t’a fait naître au monde, et l’Afrique t’a fait, sous un soleil de cuivre, Zoulou. Izoulou, le ciel ; AmaZoulou, ceux du ciel. Sagesse du firmament : « Life is suffering, suffering is life. La vie est souffrance et la souffrance c’est la vie. Il faut savoir aimer les petites choses du quotidien. »
Tu as fait ce qu’il fallait faire, manifesté ce qu’il fallait manifester, dit tous les mots de vérité qu’il fallait dire
Scatterlings of Africa, dispersés d’Afrique, valises encombrées de fatigue, gémissements tassés dans le silence ; Clegg, dispersé d’Afrique, te voilà maintenant hors de portée. Invisible. Loin du regard. Loin, si tôt. Vécu. Tu as vécu. Vécu une vie pleine d’homme. Vécu les jours accordés au cœur de l’humanité. Tu as fait ce qu’il fallait faire, manifesté ce qu’il fallait manifester, dit tous les mots de vérité qu’il fallait dire. Tu n’étais d’aucune couleur. Le cœur de l’humanité n’a pas de couleurs. La musique n’a pas de couleurs. Vécu. Vécu apportant quelque chose à l’élévation de l’humanité.
Le souffle. Le souffle du vent. Le vent a soufflé. Mais où s’en va celui qui s’en va, par-delà l’éphémère de la chair, lorsque le corps tombe ?
L’ombre qui tangue et je vois et revois, Clegg, les traces de ton passage, de plain-pied haut levé vers la voûte. Indélébile la marque de l’homme qui ne marche pas selon le conseil des cœurs arides.
Mais comment as-tu fait, Clegg ? Comment as-tu fait ? Le vent a soufflé ; la poussière s’est envolée.
Hey wena, hey wena, hey wena nawe ! Siyofika nini la’ siyakhona ? Hé, toi ! Hé toi ! Hé toi, et toi aussi ! Quand arriverons-nous à destination ?
2 commentaires
Merci pour cet hommage vibrant à un homme qui a bien vécu et qui vivra encore longtemps.. son héritage, il ne tient qu’à nous de le faire vivre.
Très bel hommage, émouvant.