Manu Dibango, véritable monument de la musique africaine, est décédé du Covid-19, le mardi 24 mars dans un hôpital de la région parisienne. Le saxophoniste d’origine camerounaise, était âgé de 86 ans. Hommage de David Gakunzi.
Le souffle. Inspirer, expirer. Respirer. La respiration soutient la vie du corps et rend grâce à la vie de l’esprit. Respirer et, corps et âme en exploration, la musique lieu de parole, faire advenir un souffle. Le souffle. Mais que ferons-nous, désormais, vieux frère, les soirs au village, sans le souffle de ta voix ?
Au village avant-garde de New-York Fania all star en triomphe au Madsion square Garden ; au village de Paris et Bruxelles avec Franklin Boukaka, oyé Africa ; au village précurseur de Kin Malebo du temps de Léo avec Kabasselé ; au village d’Abidjan chef d’orchestre donnant le sol et le tempo ; au village du commencement aux environs de Douala, avec tout le soleil de New Bell. Oui, que ferons-nous ?
Mais de ce temps-ci rongé par la pénombre, c’est ainsi.
Respirer. Déployer ses poumons et respirer un bon coup. De l’air. Chacun a sa manière de respirer. Chacun à son rythme. Rythme saccadé. Rythme balancé. Rythme body and soul. Chacun son rythme. Chacun sa fréquence.
Ton souffle. Une lumière, une mélodie, un rythme. Des ondes. Des vibrations.
Mais que ferons-nous, désormais, vieux frère, les soirs au village, sans le souffle de ta voix ?
Aux lieux de l’ombre rendant la lueur, le saxo, l’âme à l’œuvre, dissimulant la douleur derrière un énorme éclat de rire, la ligne mélodique soul makossa et sur la pellicule du soleil, la graine de félicité, semence au-dessus de toutes les ségrégations, semée à jamais sur toutes les avenues du monde.
Ko mama sa maka makoosa. Ton souffle. Le souffle de ton saxophone, la respiration solaire, le mouvement lunaire.
A tous les rythmes, les gerbes de cuivres renversant les barrières, sans jamais perdre la tête ; à tous les rythmes, l’Afrique floraisons de fibres lunaires bourdonnant au cœur de l’univers ; à tous les rythmes, à l’air du temps, déambulant de la rumba au hip et au hop, l’ascendance du renouveau, le jazz toujours en sacerdoce.
Respirer. Prendre le temps de respirer. Le temps de vivre. Le temps de souffler.
Mais ce matin, les masques de plastique nous ondulons. Il flotte la tristesse. Il flotte la poussière. L’instant d’un moment suspendu, l’éclipse. Qui connaît le jour ? Qui connait l’heure ? Cette nuit était imprévisible.
C’est ainsi : en deux voyages, nous sommes. Nous arrivons. Nous partons. Et entre les deux eaux, il faut cheminer. Des kilomètres et des kilomètres de terre. Voguer sur des confluences. Des villes. Des pays. Des continents. Des festivals. Des studios. Des hauts lieux de l’esprit, ton nom, Manu Dibango, a fleuri, partout, à perte de vue.
Nous arrivons. Nous partons. Et entre les deux eaux, il faut cheminer
Les soirs au village, de tous les villages de la planète, le souffle d’épaisseur, les poumons vastes de féérie, étirer la joie et narguer aux champs de l’existence tous les malheurs éprouvés. Au bonheur du jour, écrire, composer avec les énergies, configurer des forces, interpréter des univers, décider d’une voie, décider ce qu’il faut jouer. Le sens. Décider d’un sens. Parier. Inventer. Penser. Penser en musique. Vouloir dire et faire. Secouer le monde des pieds à la tête. Partir du rien et composer une œuvre. Cheminer. La foulée. Puis la sortie.
De l’air. Nuit et jour de l’air. La force vient de la respiration. Que la respiration fasse défaut et c’est la fin qui nous guette. Que la poitrine soit prise et c’est le commencement d’un autre voyage. Chacun peut se passer de tout. Qui pourrait se passer de l’air ? Personne ne peut vivre sans respirer.
C’est ainsi : ce fut aux alentours de cette saison aux villes fantômes et rues désertes ; cette saison et cette chose qui ne joue pas. Poussière sur l’horizon.
Mais de quelle mesures et modulations cette saison sans lignes de soleil coupée de silences à durée indéterminée ?
Ton souffle. Vieux frère, que ferons-nous, désormais, les soirs au village, sans le souffle de ta voix?
De l’air. Nuit et jour de l’air. La vie vient de la respiration. Que la respiration fasse défaut et c’est la fin qui nous guette.
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Une légende s’en est allée…