Dramaturge et homme politique tchèque, Vaclav Havel est né le 5 octobre 1936 à Prague (République tchèque) et décédera le 18 décembre 2011. Il fut Président de la Tchécoslovaquie de 1989 à 1992 et de la République tchèque de 1993 à 2003. Havel fut une grande figure morale et politique européenne. Extrait de son discours prononcé le 26 septembre 2000 lors d’une réunion des Conseils des gouverneurs du FMI et de la Banque mondiale. Discours d’actualité.
Notre planète est ceinte d’une seule civilisation globale. Il est quasiment certain qu’il en est ainsi pour la première fois dans l’histoire du genre humain. Cette civilisation recèle toutefois une autre primauté : de par son mode de mouvement interne et ses manifestations externes elle serait, au fond, la première civilisation athée, sans égard aux 3 milliards de personnes qui, passivement ou activement, se réclament d’une religion ou d’une autre. Cela veut dire que les valeurs sur lesquelles elle repose ne se rattachent pas l’éternité, à l’infini ou à l’absolu. Or, bon nombre de décideurs importants cessent de tenir compte à la fois de ce qui viendra après nous, mais aussi des intérêts foncièrement généraux.
L’homme épuise les ressources naturelles non renouvelables et porte atteinte au climat
Dans ce monde nanti d’une somme inimaginable de connaissances sur lui-même, où les informations non censurées, le capital, la propriété et la culture de toute sorte se propagent à une vitesse vertigineuse, dans ce monde dont on ne saurait dire qu’il est incapable d’évaluer les alternatives de son futur développement, il arrive à l’homme de se comporter souvent comme si tout était destiné à s’évanouir au terme de son existence sur cette Terre.
L’homme épuise les ressources naturelles non renouvelables et porte atteinte au climat, l’homme s’aliène lui-même par une liquidation progressive des sociétés que son regard embrasse, et de tous les critères humains. Il tolère le culte du profit matériel comme valeur subjuguante, faisant souvent fléchir la volonté démocratique. Bien que le nombre d’habitants de cette Terre augmente rapidement, la création des richesses cesse de correspondre, de façon alarmante, à celle des valeurs réelles et véritables; voilà une mise en demeure que nous acceptons quasiment avec apathie.
Notre civilisation est tout simplement tissée de paradoxes. D’un côté, elle ouvre devant nous des possibilités dont, récemment encore, on n’osait pas rêver, de l’autre elle fait preuve d’une piètre incapacité à modérer un abus ou à ce que ces possibilités ne deviennent le réceptacle d’un contenu souvent extrêmement dangereux .
Notre civilisation est donc émaillée de maints problèmes sérieux
Notre civilisation est donc émaillée de maints problèmes sérieux. Les pressions égalisatrices qu’elle exerce et le fait d’être de plus en plus serrés engendrent le besoin de souligner à tout prix notre altérité qui, souvent, dégénère en fanatisme ethnique ou religieux. Émergent de nouveaux modes de criminalité organisée, sophistiqués, voire terroristes. La corruption fleurit. Le gouffre séparant les riches et les pauvres va s’approfondissant. Alors que certains meurent de faim, d’autres considèrent le gaspillage comme une habitude, voire un devoir social.
Tous ces problèmes graves font aujourd’hui l’objet d’une attention particulière et différents États, institutions internationales et organisations gouvernementales ou non-gouvernementales se préoccupent de chercher des solutions. Je crains, cependant, que ces mesures n’arrivent que difficilement à renverser l’évolution en cours si le terreau idéologique où poussent de tels comportements, initiatives ou partenariats ne connaît pas lui-même de changement.
Il nous revient de penser à une autre restructuration
Des voix se lèvent soulignant la nécessité de restructurer l’économie des pays en développement ou plus pauvres et le devoir des riches de les soutenir. Si cela se fait en douceur, sur la base d’une excellente connaissance d’un milieu concret et de ses intérêts et besoins uniques, c’est certainement bien et utile. Mais j’estime qu’il nous revient évidemment de penser à une autre restructuration : celle du système de valeurs sur lequel repose notre civilisation actuelle.
Et c’est justement un enjeu pour nous tous. J’irai jusqu’à affirmer que les nantis sont plus concernés que les autres. L’orientation de l’actuelle civilisation planétaire ou, si vous voulez, globale, a été définie par les Euro-américains des temps modernes, donc par ceux qui sont aujourd’hui au nombre des plus riches ou des plus développés. Pour cette raison déjà ils ne peuvent pas être affranchis de l’obligation de repenser de façon critique les mouvements qu’ils ont historiquement inspirés.
Comment y parvenir sans un nouvel élan puissant de la spiritualité humaine?
Mesdames et Messieurs, Nous savons tous qu’il est possible d’inventer mille et un instrument de régulation ingénieuse protégeant le climat sur cette Terre, ses ressources non renouvelables, sa diversité biologique, la mise en valeur des ressources locales, l’identité culturelle des nations et des agglomérations à la mesure de l’homme, la libre concurrence et des rapports sociaux sains. Autant d’éléments pour restreindre la menace d ‘une perdition incontrôlée de notre civilisation.
Nombreux sont les hommes et les institutions humaines qui tentent d’y parvenir. Mais il s’agit surtout d’encourager vivement un système de normes morales qui ne permettraient plus, à l’échelle globale, que certaines règles soient contournées et recontournées avec une ingéniosité supérieure à celle qui les a inventées, normes garantissant le poids de ces règles et encourageant leur respect naturel dans le climat social. Les actes qui menacent visiblement l’avenir du genre humain devraient être non seulement sanctionnés mais aussi perçus comme honteux.
Nous aurons du mal à y parvenir si nous ne trouvons pas en notre sein le courage de remettre en cause, de refonder un ordre de valeurs que nous serions à même de partager et d’honorer, malgré notre diversité, et de rattacher ces valeurs à nouveau à quelque chose qui se situe au-delà de l’horizon d’un intérêt immédiat, d’une personne ou d’un groupe. Comment y parvenir sans un nouvel élan puissant de la spiritualité humaine ? Comment l’encourager concrètement ?
Voilà les questions fondamentales que je me pose depuis des années, que nombreux d’entre vous se posent aussi et qu’on ne saurait omettre d’aborder, selon moi, dans vos débats pragois.