Une innovation qui permet d’apprendre à gérer les émotions et à mieux communiquer avec les autres ? C’est le pari gagné de l’application Emoface. Ce jeu éducatif a pour objectif d’aider les jeunes autistes à reconnaître, identifier et reproduire les émotions sur les visages grâce à un avatar. Emoface s’adresse tout particulièrement aux jeunes de 5 à 14 ans présentant des troubles du spectre de l’autisme (TSA). En France environ 700 000 personnes sont concernées par les TSA, dont 100 000 jeunes de moins de 20 ans. Rencontre avec la créatrice de l’application, Adela Barbulescu. Entretien réalisé par Isabelle Zenatti.
Pourriez-vous vous présenter et nous parler de votre initiative Emoface ?
Je suis Adela Barbulescu et je suis chercheuse en informatique. J’ai fait mes études à l’Université Grenoble Alpes sur la création des avatars 3D expressifs inspirés des comportements humains émotionnels. L’idée était d’étudier comment les personnes expriment les différentes émotions en utilisant leurs expressions faciales, le geste, le mouvement de la tête, la voix et simuler cela avec des avatars intelligents qui peuvent recréer ses comportements à partir de nouvelles phrases dans une émotion donnée.
Suite à cette recherche, j’ai compris qu’il existait un lien très important entre les émotions et l’autisme. L’autisme est un trouble neuro-developpemental qui entraine des difficultés d’interactions sociales ; les personnes ont notamment des difficultés à reconnaître, exprimer et gérer les émotions.
Quel a été le déclic de ce projet ?
Lorsque j’ai commencé le projet Emoface, il existait beaucoup d’études sur les nouvelles méthodes d’apprentissage des émotions, notamment des supports vidéo qui montrent des personnes exprimant des émotions en situation sociale. A partir de ce constat, j’ai voulu utiliser les animations 3D et voir si elles pouvaient être utilisées dans ce contexte.
J’ai ensuite pris contact avec des professionnels de santé, qui eux aussi étaient à la recherche de contenu visuel au sujet de ce type d’apprentissage. J’ai eu beaucoup de retour positif car il y avait un réel besoin pour ce nouveau genre de contenu.
Comment êtes-vous passée ensuite de l’idée à sa réalisation ?
Le projet a commencé en avril 2017 lorsque j’ai intégré un incubateur qui accompagne les entrepreneurs. J’ai créé tout un réseau avec des spécialistes de santé, des parents : cette communauté m’a permis de bien comprendre les besoins et de pratiquer des tests. Ensuite, il y a eu la phase création et développement de l’application, avec toute une partie recherche et développement en informatique et en psychologie. Avec mon associée qui est designer graphique et qui a une sœur autiste, nous nous sommes partagées les tâches.
Votre outil numérique facilite donc l’inclusion des personnes en situation de handicap ?
C’est un des crédo de notre organisation. Emoface s’adresse aux personnes qui ont des difficultés notamment avec les interactions sociales. L’application les aide énormément car elle leur donne un environnement sécurisé, facilement contrôlable. Emoface est une étape intermédiaire avant d’affronter la réalité. Nous souhaitons offrir un environnement simulé qui permet de s’entraîner.
Comment fonctionne l’application ?
L’application a été créée initialement pour tablette tactile parce que les enfants autistes travaillent déjà beaucoup sur ce support. De plus, il y a énormément d’études qui montrent que ce type d’environnement rend l’apprentissage très efficace. Emoface est également disponible pour smartphone et PC. Aujourd’hui, nous avons une version bêta gratuite, téléchargeable pour ces plateformes. Pour l’obtenir vous pouvez faire une demande de téléchargement sur notre site.
Emoface s’adresse t’elle uniquement aux enfants qui présentent des troubles du spectre de l’autisme ?
Cette application a été lancée autour de l’autisme et nous avons beaucoup de psychologues, d’orthophonistes qui utilisent l’application. Ils constatent qu’elle est également utile pour des enfants, adolescents et adultes qui présentent d’autres troubles cognitifs, tels que la dyslexie, ou même des pathologies qui ont des problématiques dans le trouble de la cognition sociale, comme par exemple Parkinson ou la schizophrénie.
Y a-t-il eu des réticences, des difficultés, face à l’utilisation de la technologie ?
Je n’ai pas rencontré des réticences face à la technologie. Les difficultés se situent plutôt par rapport aux personnes qui n’ont pas encore les moyens de s’équiper en matériel informatique. Il y aussi des structures qui prennent du temps pour intégrer des nouvelles méthodologies, des nouveaux programmes. Mais, face à la situation actuelle, le confinement, tous les professionnels ont été contraints de passer en visioconférence. Je pense que l’on se rend plus compte de l’importance de la technologie et de la manière dont elle peut vraiment nous venir en aide.