L’engagement : une chose qui s’éprouve parfois comme une nécessité, comme un acte d’humanisation, comme un don, comme un appel à la reconnaissance d’autrui et des autres. Texte de David Gakunzi.
L’individu qui s’engage refuse le silence et l’indifférence. L’humain et l’inhumain? Le juste et l’injuste ? Le vrai et le faux ? Le bien et le mal ? La beauté et la laideur ? Le sublime et le vulgaire ? Choisir. La personne qui s’engage choisit. Elle prend fait et cause. Elle fait un choix. Elle tranche. Elle s’investit. Elle s’expose. Elle se lance. L’humain qui s’engage se met en danger. Il est en danger. L’engagement a un prix. Il paiera son engagement au prix fort.
Celui qui s’engage décide. Décide de faire face. Refuse. Dit non. Clairement. Sans ambiguïté. Il a une conscience. Il s’aligne sur sa conscience. Il prend une route. Il avance vers l’inconnu. Il avance avec son expérience. L’expérience de ce qu’il sait de l’oppression. De ce qu’il sait de l’écrasement des humains par d’autres humains. De ce qu’il sait de la souffrance de ceux qui ne comptent pas.
Il avance avec son regard. Avec ses sentiments. Avec sa sensibilité. Avec sa révolte. Il ne surgit pas d’une servitude théorique ; il est habité par une exigence morale. Celui qui s’engage est un humain révolté. Il ne peut pas accepter. Il refuse. Mais il n’est ni de ressentiment, ni d’enfermement sur lui-même. Il va vers l’avant. Il s’avance au cœur de son époque, nourri des espoirs et des désespoirs de son temps. Pour témoigner de la condition humaine. En toute honnêteté. Il le croit. Il en est persuadé.
Il y a des engagements qui sont des tournants de l’histoire
L’engagement. Il y a des engagements qui sont des livres. Il y a des engagements qui sont des musiques. Il y a des engagements qui sont de proximité. D’intimité. Il y a des engagements qui sont de dérision. Il y a des engagements qui sont d’éducation. De dévoilement du réel. De lutte contre l’oubli. Il y a des engagements qui sont de guérison. Il y a des engagements qui sont d’accueil. De mains tendues. De convivialité. De dignité. De significations. De contestation de l’ordre des choses. De contestation du sens des mots. De prise de parole. Pour se dire. Pour ne pas subir. Pour relier. Pour décider pour soi. Pour décider avec les autres, des couleurs du jour. Il y a des engagements qui sont de cité. Il y a des engagements qui sont des scènes d’histoires. Il y a des engagements qui sont des tournants de l’histoire.
La personne qui s’engage avance. En face ? Les oreilles fermées et les cœurs emmurés. Emmurés dans la peur de la liberté générale. En face ? Une humanité de suffisance. La personne qui s’engage sait qu’elle recevra des coups. Sait qu’il faudra encaisser. Qu’on ne se met pas en travers du chemin de ceux qui dominent sans conséquences. Elle sait que les armes de propagande seront d’expédition. Qu’elle aura droit au confinement solitaire. Que l’engagement est un chemin souvent de solitude douloureuse. Mais elle sait aussi, que, même au plus profond de la nuit, sous le ciel, elle est à la fois seule et universelle, seule et multiple, multiple et indomptable. Que nous sommes plusieurs.
Il ne baissera pas la tête. Il se fabriquera des manières de survivance
Sur le revers des saisons, l’individu qui s’engage est parfois saisi par le doute. Terrassé par l’épuisement. Il n’avance plus. Il s’arrête. S’interroge. Dans sa tête, le tumulte. Des interrogations. Les choses qui se font et se défont dans le brouhaha et la cacophonie. Les pertes. Il fait l’état des pertes. Etablit le répertoire des déconvenues. Les rêves perdus. Les porteurs de rêves disparus. Les chemins qui n’arrivent pas. Il fait froid. Le poids de l’âge qui pèse de tout son fardeau. Le spleen. La lumière chancelante du crépuscule. De tristesse et de douleur, celui qui s’engage s’interroge : renoncer ? Jeter l’éponge ? A l’instant où le soleil se lève, il n’y peut rien, le voilà qui se reprend d’éclat. Renoncement impossible. Il a vu la couleur de la beauté. Il ne se détournera pas de ce qui le constitue. Il ne baissera pas la tête. Il se fabriquera des manières de survivance.
Il y a des manières de survivances de jazz en pétales, des manières de survivances de dialogue avec la mer, des manières de survivances de dialogue jubilatoire avec les jours d’été qui s’allongent, des manières de survivances de danse joyeuse de jasmin, de philosophie ou de poésie, des manières de survivances de passion de vie, de grâce, de candeur et de tendresse, des manières de survivances de célébration des êtres tels qu’ils sont, des manières de survivances de nécessités spirituelles de Salvador ou de plein soleil de Cotonou, des manières de survivances d’exploration intérieure.
Il sait que la vie n’a pas de sens sans engagement
La vie en valeur première, qu’il soit Sartre ou Fanon, Hannah Arendt ou Aline Sitoé Diatta, Mandela ou Allende, Rosa Parks ou Olympe de Gouges, illustre de nom ou héros et héroïne du quotidien inconnu, l’être qui s’engage pour l’humanité ne calcule pas. La cause pour laquelle il s’engage finira-t-elle par triompher ? Il ne le sait pas. Au bout de la route, peut-être, la déroute. L’horizon est parfois un leurre. Il le sait. Mais celui qui s’engage fait ce qu’il doit faire. Ce qu’il croit bon de faire. Ce que son cœur lui dicte de faire. Ce que sa raison lui recommande d’entreprendre. Il sait que la vie n’a pas de sens sans engagement. Que la vie c’est l’engagement. Jusqu’au temps de l’ombre.
Photo : Fanon – Fresque de Bruce Clarke