Toots est parti vendredi soir, 11 septembre. Il était hospitalisé depuis une semaine à l’hôpital universitaire des West Indies en Jamaïque. Il était âgé de 78 ans. Hommage de David Gakunzi.
Un géant est parti. Toots est parti. Les rastas ne pleurent pas les morts ; ils sortent les tambours ; les tambours nés dans les montagnes, nés dans les forets, les percussions revenues du temps des Maroons. Les tambours qui autrefois servaient à remonter le moral des fugitifs et, lorsque de nécessité, à sonner l’alarme pour signaler l’arrivée des chasseurs d’esclaves accompagnés de leurs meutes de buscadors.
Les rastas ne pleurent pas les morts ; du crépuscule à l’aube, ils sortent les tambours et ils tourbillonnent, et ils frappent les tambours, et les tambours grondent, éclatent comme des coups de clairons et, l’énergie viscérale, ils tuent la mort. Du Nyabinghi, du fond de la nuit, s’élèvent des voix célestes et flotte dans le vent, un air mystique.
Routes de la vie, ramenez-moi à la maison ; sur la crête bleue de la montagne, là où rayonne la rivière. Tous mes amis sont là-bas.
Un géant est parti. Toots est parti
Toots. Toots and the Maytals. Bam Bam Bam et Toots est arrivé ; Sweet and Dandy et 54-46 flanqués de Six and Seven Books, le tambour one drop battant, le groove chaleureux, le contre-temps marqué de coups d’orgue, la basse sinueuse, le contrepoint bluesy et soul, le skank bouillonnant, les cuivres d’extase, Reggae got Soul, la voix du septième jour et de sueur.
Le reggae a une âme ; le tonnerre gronde et le reggae embaume les blessures du passé et du présent. Arrachés, marqués au fer rouge, déportés, débarqués et vendus aux enchères ; les plantations, le café, le sucre et le sang, le coton aussi ; le fouet toujours. La brutalité. L’oppression. Survivre. Loin, très loin l’Afrique. Loin les balafons et les veillées, loin les dieux et la transmission du savoir au clair de la lune. Survivre. Mourir et renaître. De Queen Nanny à Samuel Sharpe, la révolte, la fuite et la montagne comme sanctuaire inexpugnable.
I shall be free. Je sais, je serai libre. Je sais. Je dis que la foi donne la force et que l’amour peut rendre libre. Foi et amour combinés, c’est ainsi que nous devons être.
Est géant celui qui nourrit son époque d’énergie positive
Un géant. Est géant celui qui nourrit son époque d’énergie positive. Est géant celui qui surgit des saisons de Pressure drop et met la lumière là où régnait l’obscurité. Est géant celui qui ne gaspille pas les jours de son existence à courir derrière les choses sans importance mais plante ses pas sur la mer comme s’il marchait sur la terre et chevauche les étoiles. Est géant celui qui vit, heureux et malheureux à sa manière, avec ses craintes et ses inquiétudes, habité chaque matin par la même question : « A quoi ressemblerait une belle journée ? ».
A la pointe du jour, compter avec le soleil. Toots, une voix ravivant dans chaque mélodie les couleurs célébrant chaque instant comme un morceau d’éternité neuf de tous les possibles ; Toots and the Maytals, la promesse en ska, rocksteady ou en reggae, revigorant le corps et la conscience par delà ce qui fut fracassé et brisé.
Les rastas ne pleurent pas les morts ; ils sortent les tambours à la main
Un géant est parti. Les rastas ne pleurent pas les morts ; ils sortent les tambours à la main ; et, baandu, funde, keteh, les percussions secouent la terre et les Bongo Man chantent des chansons qui racontent les histoires enfouies dans les profondeurs de l’histoire, les histoires qui n’ont pas encore été racontées. Et, one love, one heart, one aim, one destiny, les dreads planent et s’envolent cherchant les chemins qui mènent vers la cité éternelle de Zion.
Routes de la vie, ramenez-moi là-bas sur la crête bleue de la montagne, là où rayonne la rivière. J’entends la voix de ma veille mère ; elle m’appelle. En roulant sur la route, j’ai le sentiment que j’aurais dû être à la maison depuis hier. Tous mes souvenirs se rassemblent autour d’elle, plus étrange que l’eau bleu, sombre et poussiéreuse, peinte sur le ciel, goût brumeux de clair de lune. Presqu’un paradis.
Un géant est parti.
Photo : Toots © Michael Putland
1 commentaire
Magnifique hommage, avec ses envolées lyriques superbement orchestrées, qui fait prequ’oublier la douleur habituelle due à la perte d’un être cher. Car il l’etait, Toots, pour tout esprit epris de paix, pour le monde. Repose en paix, sublime artiste.