Ecrivain et poète né en 1940, Franck Pavloff publie en 1998 la nouvelle « Matin brun ». Succès international, ce court texte raconte la mise en place progressive d’un régime totalitaire, un « Etat Brun ». Les références historiques ainsi que la résignation et la passivité des personnages interpellent. Face à la montée de l’extrême droite, Franck Pavloff invite le lecteur à résister, lutter contre l’indifférence et l’individualisme. Extraits.
C’est vrai que la surpopulation des chats devenait insupportable, et que d’après ce que les scientifiques de l’Etat national disaient, il valait mieux garder les bruns. Que des bruns. Tous les tests de sélection prouvaient qu’ils s’adaptaient mieux à notre vie citadine, qu’ils avaient des portées peu nombreuses et qu’ils mangeaient beaucoup moins. Ma foi un chat c’est un chat, et comme il fallait bien résoudre le problème d’une façon ou d’une autre, va pour le décret qui instaurait la suppression des chats qui n’étaient pas bruns. (…)
Après ça avait été au tour des livres de la bibliothèque, une histoire pas très claire, encore.
Les maisons d’édition qui faisaient partie du même groupe financier que le Quotidien de la ville, étaient poursuivies en justice et leurs livres interdits de séjour sur les rayons des bibliothèques. Il est vrai que si on lisait bien ce que ces maisons d’édition continuaient de publier, on relevait le mot chien ou chat au moins une fois par volume, et sûrement pas toujours assorti du mot brun. Elles devaient bien le savoir tout de même.
-Faut pas pousser, disait Charlie, tu comprends, la nation n’a rien à y gagner à accepter qu’on détourne la loi, et à jouer au chat et à la souris. Brune, il avait rajouté en regardant autour de lui, souris brune, au cas où on aurait surpris notre conversation. (…)
Avoir eu un chien ou un chat non conforme, à quelque époque que ce soit, est un délit
Ce matin, Radio brune a confirmé la nouvelle. Charlie fait sûrement partie des cinq cents personnes qui ont été arrêtées. Ce n’est pas parce qu’on aurait acheté récemment un animal brun qu’on aurait changé de mentalité, ils ont dit.
« Avoir eu un chien ou un chat non conforme, à quelque époque que ce soit, est un délit. » Le speaker a même ajouté : « Injure à l’Etat national. » Et j’ai bien noté la suite. Même si on n’a pas eu personnellement un chien ou un chat non conforme, mais que quelqu’un de sa famille, un père, un frère, une cousine par exemple, en a possédé un, ne serait ce qu’une fois dans sa vie, on risque soi-même de graves ennuis.
« Matin brun » Texte de Franck Pavloff, Editions Cheyne, 1998