Ukraine : Comment allons-nous vivre avec ce qui vient de se passer ? La solidarité force de vie s’impose. Texte de David Gakunzi
Un homme calé dans son fauteuil a décidé, depuis Moscou, d’agresser le pays voisin. Poutine s’est d’abord évertué à saccager le langage affichant sa guerre d’expansion en réclame joyeuse de reconquête nationale, alignant comme un vieux disque rayé ses lugubres standards : la grandeur du passé, l’Occident patibulaire: l’Otan, l’Otan, l’Otan !, la réécriture de la réalité : « L’Ukraine n’existe pas ; l’Ukraine n’a jamais existé ; l’Ukraine est une invention de Lénine et des bolcheviks» ! L’Ukraine effacée en un tournemain de l’histoire et de la carte du monde.
L’homme du Kremlin s’est ensuite présenté, la satisfaction brute dans le regard, en incarnation du principe du bien et du juste, avant de menacer d’apocalypse nucléaire quiconque s’opposerait à son projet impérial.
Et le lendemain c’est arrivé. Les missiles. Le bruit des sirènes. Les explosions. La fumée dans le ciel. Les cratères. La profanation de l’Ukraine. La guerre infâme et lâche. La guerre de retour ; la guerre pour un moment; la guerre qu’on croyait confinée pour toujours dans les vieux livres d’histoire.
Les efforts diplomatiques préventifs déployés ? La diplomatie n’y pouvait rien. L’homme du Kremlin, son armée déballée, avait d’autres intentions. D’autres plans.
La profanation de l’Ukraine. La guerre infâme et lâche
Comment allons-nous vivre avec ce qui vient de se passer ? Quelles traces laissera cette guerre d’asservissement sur le respect des normes internationales communément établies au lendemain de la seconde guerre mondiale ?
Mai 1941: Mussolini bombarde l’Ethiopie. Et le général Nemours, délégué de Haïti à l’Assemblée de la Société des Nations d’avertir : « Il n’y a pas deux vérités, l’une pour l’Afrique, l’autre pour l’Europe… Si nous laissons se commettre l’injustice et une nouvelle fois étouffer la voix de la victime, craignons d’être un jour l’Ethiopie de quelqu’un. »
Que rien d’essentiel et de déterminant, ne soit accompli contre la mise sous tutelle de l’Ukraine parce que nous serions, les uns englués dans notre confort, incapables de comprendre la signification fondamentale de cette guerre, les autres parce que dépassés par les événements, tétanisés par la trouille, traumatisés par la brutalité du fait accompli ne dégainant que l’immobilisme et le murmure comme seules politiques dites rationnelles et raisonnables susceptibles d’éloigner les risques d’un désastre plus grand ; et demain, oui demain, nous récolterons ce que nous aurons semé ; demain sera comme aujourd’hui.
Craignons d’être un jour, les uns après les autres, l’Ukraine de quelqu’un
Car l’agresseur persuadé de sa toute-puissance sera forcement tenté de refaire ce qu’il aura fait à l’Ukraine à d’autres pays ; et, hélas, inexorablement, son prestige grandira, sa vision du monde fera voyage sous d’autres cieux, sous d’autres continents et, notre planète de plus en plus soumis à la loi du plus brutal sera de moins en moins vivable. Craignons dès lors d’être un jour, les uns après les autres, l’Ukraine de quelqu’un.
La solidarité s’impose donc si nous voulons échapper au nouvel ordre annoncé par l’agression de l’Ukraine ; la solidarité force de vie refusant l’oppression, rejetant sans ambigüité le consentement meurtrier; la solidarité bouclier des libertés collectives et individuelles ; la solidarité rempart de la sécurité collective, de la sécurité des petits et grands pays.
Le cœur de la Place Maiden n’a pas fini de battre
Plus qu’un territoire, l’Ukraine aujourd’hui c’est la mémoire de notre passé et de notre avenir: le monde du droit ne saurait être un âge d’or éphémère relégué au temps des souvenirs bienheureux du monde d’hier.
Le cœur de la Place Maiden n’a pas fini de battre. Forcer une frontière avec chars, missiles, hélicoptères, bombes et fracas peut-être chose faisable, aisée même; mais écraser la liberté d’esprit est plus difficile. Impossible à terme.
La douleur est là mais la brise et les fleurs du printemps sont inéluctables.
Photo : Portrait de Vladimir Poutine réalisé par l’artiste ukrainienne Daria Marchenko composé à partir de 5000 douilles provenant de l’est du pays.
David Gakunzi est l’auteur de « Ce rêve qui dure encore », ouvrage paru en décembre 2023 chez Temps universel.