Le célèbre pianiste Abdullah Ibrahim donnera un concert exceptionnel à la Seine Musicale le 7 mars prochain. À 91 ans, le compositeur sud-africain demeure le musicien libre qu’il a toujours été.
Né au Cap en 1934 sous le régime de l’apartheid, Adolph Johannes Brand, de son vrai nom, se fera d’abord connaître sous le pseudonyme de Dollar Brand au début de sa carrière. Il deviendra Abdullah Ibrahim en 1968, date de sa conversion à l’Islam. Sa musique reflète les multiples influences culturelles de son pays : musique traditionnelle africaine, hymnes chrétiens, airs gospel et spirituals, ainsi que jazz et musique classique américaine. Ce syncrétisme musical et culturel donnera naissance au vocabulaire si mélodieux, spirituel et élégant d’Abdullah Ibrahim.
Au début des années 1960, Dollar Brand forme un groupe « The Jazz Epistles » entouré notamment d’Hugh Masekela. Ils enregistrent le premier album de jazz de musiciens noirs sud-africains. Face à la violence de l’apartheid, le jazz sonne alors comme un acte de résistance, d’audace et devient un symbole de liberté. Mais la brutalité du régime, la persécution à l’encontre des musiciens, le massacre de Sharpeville en 1960 puis l’emprisonnement de Nelson Mandela, décideront Dollar Brand et sa partenaire, la chanteuse Sathima Bea Benjamin, de quitter le pays.
L’exil en Europe et aux Etats-Unis
En 1963, le destin musical de Dollar Brand prend forme. Remarqué par Duke Ellington dans un club de jazz à Zurich, ils enregistrent ensemble à Paris l’album « Duke Ellington Presents the Dollar Brand Trio« . En 1965, le couple déménage à New York. Le pianiste élargit ses influences musicales en jouant avec Ornette Coleman, John Coltrane, Don Cherry, Pharoah Sanders, Billy Higgins, Thelonious Monk… Abdullah Ibrahim joue également au Newport Jazz Festival au sein du Ellington Orchestra. En 1967, il reçoit une bourse de la Fondation Rockefeller pour étudier en privé avec le professeur Hall Overton de la Julliard Music School.
Mannenberg – Is Where It’s Happening
L’année 1968 marque le retour du pianiste en Afrique, il s’installe d’abord au Swaziland, puis revient au Cap. En 1974, il enregistre Mannenberg – Is Where It’s Happening, une chanson optimiste qui devient l’hymne national non officiel des Sud-Africains noirs en lutte contre le régime d’apartheid. On raconte que lorsque Nelson Mandela entendit Mannenberg pour la première fois, il affirma que cette œuvre était un signe que la libération était proche.
Après le soulèvement étudiant de Soweto en 1976, Abdullah Ibrahim retourne à New York, donne des concerts pour l’ANC et dirige la formation musicale « Ekaya » depuis 1983. Il devient un artiste reconnu mondialement et publie plusieurs albums.
En 1990, Mandela, libéré après 27 ans de prison, invite Abdullah Ibrahim à rentrer en Afrique du Sud. L’année suivante, il enregistre le poignant « Mantra Mode », son premier album réalisé en Afrique du Sud avec des musiciens locaux depuis 1976. Le pianiste se produira lors de l’investiture de Mandela en 1994.
Depuis plus d’un demi-siècle, Abdullah Ibrahim donne des performances à guichets fermés à travers le monde, en tant que soliste, trio ou septuor. Abdullah Ibrahim a reçu de nombreuses distinctions et doctorats honorifiques pour son œuvre, notamment du NEA Jazz Master 2019. Une œuvre traversée par un fil musical, intimement lié à la lutte des Sud-Africains contre l’apartheid et à l’histoire de la musique noire. Le pianiste partage aujourd’hui son temps entre New York, la ville du Cap et l’Allemagne.